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L'oeuvre impossible

 

Voila un mois que je m'y casse les dents. Je suis, trop souvent à passer devant et ne pas y toucher. Allez cette fois je m'y colle et je ne décroche pas.

 

 

 

Ce n'était, pourtant qu'une formalité, choisir un format de toile, disposer de 2 à 3 heures sans obligation administrative ou alimentaire. Un après midi, de préférence, comme ça, je pouvais goûter, en prenant l'apéro du soir, au plaisir de contempler l’œuvre. Celle qui était installée, depuis des années, dans un coin de mon esprit. Celle qu'un jour je réaliserai d'un jet, après une longue période de maturation.

 

Tout y était : sujet, couleurs, lumières, personnages, ambiance, même l'émotion, surtout l'émotion. Ce n'était pas une simple peinture, ce devait être un déclencheur d'émotions. Lorsque je l'ai perçue la première fois, j'étais tellement enthousiasmé, qu'il ne pouvait pas en être autrement pour le spectateur qui la verrait. Chaque fois qu'elle me revenait en mémoire, je ressentais ce nœud au creux du ventre. Alors pourquoi prendre autant de temps pour la réaliser.

 

 

 

Cette fois, c'est décidé, je m'y mets. Je choisis un format 20 F, j'ai plus de deux heures de libre. Mon rêve va enfin devenir réalité. Ce n'est plus dans un coin de mon esprit qu'elle va trôner cette toile, mais dans mon salon ou sur les murs d'une salle d'exposition. Et nous vibrerons ensemble, le public et moi, à la contempler. Elle ne sera, sans doute, pas à vendre, collection privée. « Ah, dommage pour vous.. », dirai-je.

 

 

 

Déjà deux heures passées à réaliser le fond, quelques lignes repères et une esquisse de personnages. Bizarre, c’est tout ce que j'ai fais, pendant tout ce temps. Pire encore, c’est le doute qui s'installe sur la suite. Moins de certitude sur la réalisation, pourtant quelques coups de pinceaux rapidement appliqués font apparaître le sujet. Le rêve est la, tout près. Encore une séance et ce sera l'aboutissement...

 

Une deuxième séance de 2 à 3 heures, et l'angoisse monte. Je passe et repasse devant la toile et l'image de mon esprit n'est toujours pas là. Je prends un crayon, un papier, recompose les éléments, plus petit, plus grand. Les lumières d'où viennent-elles ? De toutes façons, chez moi, c'est tellement souvent en haut à droite, le problème n'est pas là. Ah, ça y est, j'ai trouvé, quand je peins ça brille, or là c'est sec et terne, où est-elle l'émotion là dedans. Je passe et repasse de nouveau devant, je vais abandonner, d'autres sujets m'envahissent et poussent celui-ci du salon à la cave...

 

Ah, non pas question d'abandonner. Ok, ça va pas, alors je recommence tout. Une toile vierge, toujours 20 F, j'applique le fond, léger cette fois, je bouscule la composition, j'essaie les personnages de trois quart, de profil plutôt que de dos. La lumière vient de face cette fois. Ça plus petit, le reste plus grand, ou inversement, oser tout bousculer.... Deux heures plus tard j'ai plus avancé que sur le premier tableau. Malgré tout il y a quelque chose qui ne « colle pas ». Lumières, couleurs, ambiance, sujet, tout est là malléable à volonté. Il ne manque que le liant : l'émotion de départ.

 

 

 

A trop exposer l'idée originelle dans le salon de mon esprit, à la contempler tous les jours comme une icône, je l'ai usée. La magie de la créativité s'est dissoute avec le temps. L’œuvre est devenue impossible. Il faudra attendre qu'un nouveau rêve la reconstruise.

 

 

 

ArtGrim

 

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Béatriz Triz (mardi, 24 août 2021 13:50)

    Magnifique texte qui évoque si justement les centaines d'œuvres que j'ai lâchement laissé mourir sous la poussière dans un coin de mon imagination depuis que la vie d'adulte et mes peurs m'ont avalé ...